Chambre

Une chambre à soi ?

J’ai écrit le premier tome de Lola Frizmuth dans un studio de 23m2 tout à fait encombré que je partageais avec mon cher et tendre.
J’ai écrit le second tome par terre, au dernier étage de notre petite maisonnette (très) biscornue, recroquevillée dans un petit coin entre le radiateur et le canapé-lit.
J’ai écrit La légende de Lee-Roy Gordon – et tous ceux qui ont suivi – sur un vieux canapé Ikea tout raide, dans une pièce qui faisait à la fois salon et cuisine. J’en ai retiré quelques maux de dos mémorables.

Interstices

Je ne regrette pas une seconde. J’aimais bien ce fichu canapé tout taché de café, donné par un ami. Depuis mes débuts d’autrice, tout s’est toujours passé comme ça. Je me collais dans les interstices, les espaces laissés vacants par toute la masse d’autres trucs qui remplissent nos vies à ras-bord. Espaces au sens propre, bien sûr, mais également au sens figuré. J’insérais des périodes d’écriture dans les moments où nulle autre tâche plus urgente (et plus rémunératrice) ne m’appelait. J’inventais des histoires dès qu’une parcelle de cerveau disponible se libérait. Pour me préserver du temps de création, je poussais souvent les murs. Jusqu’à 23h. Le samedi. Le dimanche. Je faisais des piles mentales désordonnées, je planquais du fatras urgent sous le tapis.

En gros c’était l’inverse de ceci.
(Photo by Toa Heftiba on Unsplash)

Je ne m’en plains pas. Ce serait tout à fait grossier de ma part. Je trouve même que j’ai pas mal de chance de pouvoir faire ce que je fais, et j’aimerais bien pouvoir continuer quelques dizaines d’années. Cependant, j’avoue qu’à un moment donné – je ne sais plus trop quand – le manque d’espace(s) a commencé à me porter un peu sur les nerfs. J’en ai eu assez de voir chacun de mes mouvements entravés par des objets stockés à la va-comme-je-te-pousse dans de petites pièces. Marre, quand je mettais le nez dehors, de devoir slalomer entre les travaux de voirie, un motard qui roule sur le trottoir, des gens stressés qui filent à toute allure… Ras-le-bol de concilier mille tâches dont l’accomplissement dans la minute semblait toujours plus important que mon repos, mon bien-être, ou mon activité créatrice.

Espaces

Si je raconte tout ça, c’est parce que je viens de déménager. Je me suis pas mal éloignée de Paris (pas tant que ça, mais je sais qu’un long trajet en RER au-delà des limites du périphérique peut effrayer certains parisiens convaincus). J’ai désormais plus d’espace, ce qui n’aurait pas été possible en restant dans la proche banlieue dans laquelle j’ai vécu pendant près de 10 ans. Et franchement, j’ai l’impression d’avoir largué un gros poids.

On est tout de même un peu plus tranquilles…
(Photo by Dane Deaner on Unsplash)

Je ne promeus en rien l’éloignement. Il m’est possible car je travaille de chez moi. Certains n’ont pas le choix de leur lieu de vie – la question des transports, notamment, entre toujours dans la balance. Certains se trouvent très à leur aise dans le cÅ“ur bouillonnant de la capitale. D’autres vivent très loin et aimeraient se rapprocher de Paris, mais n’en ont pas les moyens. (Le coût exorbitant du logement dans cette ville est une chose qui me met très en colère).

Bref, il ne s’agit que d’un ressenti personnel. Cependant, cela me pousse à réfléchir à ce lien entre l’espace de vie, et l’espace mental dont on dispose, en tant qu’être humain, pour être pleinement soi-même et s’exprimer. Que cette expression passe par une vie familiale ou amicale épanouie, un temps pour se ressourcer, se détendre, s’amuser, se cultiver, ou encore la pratique d’une passion, quelle qu’elle soit. J’ai souvenance d’un livre tout à fait intéressant que j’ai lu sur le sujet, il y a quelques années, et dont le propos raisonne particulièrement en moi en ce moment. Il s’agit de « Chez soi« , de Mona Chollet. Elle dit tout bien mieux que je ne le pourrais.

La place de l’écriture

Pour ma part, l’expression passe par l’écriture. Et alors que j’apprivoise encore mon nouvel espace de vie, je ne peux m’empêcher de me demander de quelle manière celui-ci va influer sur mon travail d’autrice. Vais-je progresser ? Explorer de nouveaux terrains ? Parvenir à me concentrer davantage ? Vais-je parvenir à créer l’espace mental nécessaire à l’écriture d’histoires qui feront vibrer des lecteurs ?

Peut-être même que je vais devenir comme ça.
(Photo by Laurens R.M.D. on Unsplash)

Que devient la création quand elle est libérée des interstices, qu’on lui laisse prendre ses aises, qu’on lui donne une place rien qu’à elle ? Pas quelques centimètres carrés arrachés de haute lutte, mais un véritable espace, avec son nom dessus, gravé en lettres d’or. Vous avez trois heures.

Dans son célèbre essai, Virginia Woolf défend la nécessité, pour une femme, de disposer d’une chambre à soi. J’ai désormais une pièce réservée à l’écriture dans mon nouveau chez moi. Au risque de contredire tout ce que je viens d’écrire, j’avoue que jusqu’à présent, je n’y ai presque jamais mis les pieds. J’écris ce post à la cuisine, assise sur une chaise de bois toute raide. Mon bon ami soupçonne qu’en réalité, je préfèrerai pour toujours travailler près de la bouilloire.

Du coup je ne sais pas trop. On verra bien.

Au moins, la cuisine est plus grande.


2 réponses à Une chambre à soi ?

  1. Lise

    Chère Aurélie,
    Je me permettrais d’ajouter à ton article très pertinent que le fait d’être une femme ajoute une charge mentale supplémentaire. Depuis notre enfance nous sommes conditionnées à prendre soin de nos proches, de la maison, et de nous-mêmes en dernier!
    Pour ce qui est d’écrire près de la bouilloire, comme je te comprends! Une tasse de thé ou de café, rien de tel pour faire jaillir inspiration, bien-être ou indispensable convivialité… Et cela ne n’empêchera pas de devenir une diaphane jeune femme comme sur la photo.
    Peut-être une deuxième bouilloire dans ton bureau?

    • Aurelie Gerlach – Author

      Chère Lise, oui c’est vrai ce que tu dis là. Les femmes ont encore culturellement droit à moins d’espaces : qu’il s’agisse de temps pour elles ou de surface … quand on y réfléchit, la société attends même de nos corps qu’ils prennent le moins de place possible (crèmes minceur, tout ça) que nos voix ne résonnent pas trop fort. Difficile de se défaire de ce qui a été intériorisé… Ceci posé, et puisqu’il vaut mieux voir les choses du côté positif, c’est aussi un défi intéressant, d’observer tout cela, et telles des suzeraines du moyen âge, d’avancer ses troupes pour regagner peu à peu du territoire (on est alors tout à fait autorisées à s’autocongratuler de ses conquêtes 😉 )

      La bouilloire m’a été suggérée… Mais pas avant d’avoir un point d’eau à l’étage. (Et un mini frigo pour mon lait ?)

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