La chasse aux mots

En ce moment, je suis fort occupée à l’écriture d’un roman dont l’intrigue se déroule dans la noble capitale de notre pays – Paris, quoi. La ville y occupe même un rôle central, ce qui me permettra peut-être un jour de placer cette phrase tout à fait répugnante : « Ne vous y trompez pas, très cher, Paris EST le personnage principal de ce récit, oh oh oh. » (Never.)

L’exercice implique ainsi de décrire les rues, les immeubles, les platanes bien alignés sur les trottoirs, les microscopiques chiens qui font caca sous le lampadaire sans que personne ne ramasse etc.

Je sais ce que tu penses, jeune Padawan : « trop fastoche ». C’est vrai que quand on a vécu et travaillé pendant des années à Paris, comme moi, et qu’on s’y rend encore régulièrement, on SAIT à quoi ça ressemble. Pas besoin faire des recherches pendant 8 mois à la Bibliothèque nationale de France comme ça aurait été le cas si je m’étais lancée dans une grandiose saga historique se déroulant dans le Périgord Noir durant le Haut Moyen-âge.

J’avoue.

Sauf que je n’avais pas tout a fait anticipé que ma petite aventure littéraire en terrain connu me réserverait un surprise : je sais à quoi ressemble la ville où je suis née, mais les mots me manquent pour parler d’elle et la décrire.

J’en vois un au dernier rang qui lève un sourcil incrédule.

Trucs-bidules everywhere

Ok, mon Jean-Jacques. Laisse-moi te proposer un exercice tout simple pour que tu comprennes mieux. Est-ce que tu pourrais me dire ce que tu vois sur la photo ci-dessous ?

Mais quelle est donc cette mystérieuse chose ?

Jean-Jacques : Je vois une bouche de métro !

Moi : Bravo mon Jean-Jacques, c’est un bon début. Maintenant est-ce que tu pourrais me la décrire ? Elle ressemble à quoi cette bouche de métro ?

Jean-Jacques : Bah c’est un bouche de métro, quoi. Un peu tradi. Y’a des escaliers qui descendent sous terre, et au dessus, y’a une petite… euh… cabane en métal vert qui fait des zigouigouis style Art Nouveau. Et puis y’a aussi écrit Métropolitain devant, sur un genre de… euh…pancarte jaunâtre.

Moi : Sérieusement Jean-Jacques ? « Une petite cabane en métal vert pleine de zigouigouis style Art Nouveau » ? Zéro pointé !! Bon, commençons par le début. Déjà ceci n’est pas une « petite cabane » mais un ÉDICULE.

Jean-Jacques : O_O

Moi : Attaque Wikipedia no Jutsu !

Allez, tant qu’on y est, je me sens dans un jour d’extrême générosité :

Notre : Oui oui, cartouche c’est masculin

Pour dissiper tout malentendu, ce post n’est pas un exposé sur les édicules d’Hector Guimard. Mon sujet, ce serait plutôt : « Truc de ouf comment on passe notre temps à voir des trucs qu’on sait pas comment ça s’appelle« .

Tiens regarde :

Résultat de recherche d'images pour "Potelets"

« Salut. Tu nous vois partout mais est-ce que tu connais notre petit nom ? »

Réponse, après recherche : ce sont des « potelets »

Alors peut-être que j’ai sous estimé tes connaissances, ô lecteur, mais pour ma part, j’avoue que j’ai dû chercher sur Google. Je pourrais prétendre qu’en tant qu’écrivaine, j’ai avalé le Petit Larousse dès le CP, mais je préfère l’honnêteté, bicoz I’m soooooo real. Plus sérieusement, en tant qu’auteurs et autrices, nous sommes en apprentissage perpétuel, comme dans n’importe quel métier. Les mots sont des outils que l’on découvre et dont on apprend à se servir, point. Ne crois jamais ceux qui prétendent tout maitriser – même s’ils ont le crâne dégarni et qu’ils pérorent à la télé

Mo-Mo-Motus

Jean-Jacques n’a pourtant pas fini de me faire suer : « Tu ne vas pas assommer tes lecteurs avec des mots genre ‘édicule’. Personne va rien biter à ton histoire« 

Jean-Jacques à partiellement raison. Et nous touchons ici l’un de mes dadas. Que dis-je, ma PASSION (fait magistralement voler sa cape) : l’art d’utiliser le bon niveau de langage au bon endroit, dans le bon livre.

J’écris un roman dans lequel l’action, le suspens, et donc la fluidité de lecture doit primer… Si j’assomme mon lecteur à toutes les pages à coup d’antéfixe, de crapaudine, de tétrastyle ou d’exèdre, la tension va vite retomber. Cela n’a donc pas de sens, dans ce cas précis, d’essayer d’impressionner le gogo en tentant de faire du néo Georges Pérec

PS : figure toi que l’exèdre est un édicule de jardin. C’est fou, non ?


(Photo by Brett Jordan on Unsplash)

Contrairement à l’idée reçue, écrire simple est souvent plus dur que d’écrire compliqué. Cela implique d’avoir constamment une petite balance dans la cervelle qui pèse chaque phrase au gramme près. Tous les mots utilisés dans le roman doivent avoir été choisis pour une bonne raison.

Et non, « Ça donne l’impression que j’écris super bien » n’est pas une bonne raison.

Le triangle magique

Pour en revenir au butin de ma chasse aux mots, voici les questions que je me pose lorsque je dois décider quels termes utiliser, et quels termes relâcher dans la nature, tels de joyeux papillons :

1/ Le lecteur peut-il en inférer le sens même s’il ne connaît pas le mot, à partir de la sonorité (« Potelet » : probablement. « Édicule » : bof) ou à partir du contexte ?

2/ Le mot en question est-il le seul qui existe pour désigner ce dont je souhaite parler, ou est-il possible de faire usage à la place d’un synonyme ou d’une périphrase plus compréhensible (« vantail » ou « battant d’une porte » ?).

3/ S’intègre-t-il harmonieusement au reste du texte, notamment en ce qui concerne le niveau de langage utilisé ? Dans mon cas, comme j’écris à la première personne du singulier, il est cohérent d’employer des mots que mes personnages (des ados de région parisienne) sont susceptibles de connaître et d’utiliser. Par exemple, un « Abribus » plutôt qu’une « Aubette », même si le dernier est vraiment ZE terme consacré. (Abribus est une marque déposée par l’entreprise JCDecaux, qui est passé dans le langage commun. Comme Kleenex et Frigidaire.)

En général, je ne fais usage d’un mot que s’il remplit au moins deux de ces critères.

Bye bye « Édicule »

[Photo de une : Наталия Когут pour Pixabay]

2 rponses La chasse aux mots

  1. Comme cela est vrai! Le bon mot à la bonne place… Ne pas prendre les lecteurs pour des imbéciles en leur proposant un langage standardisé qui les prive des nuances essentielles à la saveur d’un récit… Ne pas jouer les pédants avec des mots rarissimes qui n’apportent rien et entravent la lecture. L’attention de l’écrivain doit porter sur la richesse et la fluidité de la lecture, une combinaison de qualités plus délicate à réaliser qu’il n’y paraît. Merci Aurélie pour cet article.

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