Cinq défauts de style des jeunes auteurs

Jeune auteur

Lors de rencontres en classes ou clubs de lecture, il m’est arrivé que de jeunes écrivains en herbe me demandent des conseils pour améliorer leurs textes. Il n’est pas toujours évident pour moi de répondre. D’une part, parce que je me méfie beaucoup des recettes toutes faites à base de « faites ça »/ »ne faites surtout pas ça », comme on en trouve tout plein partout dedans l’Internet. Selon moi, nombre d’entre elles ne sont pas applicables à tout le monde, à tous les types de littérature et à tous les cas. D’autre part, je me considère moi-même en perpétuel apprentissage… Suis-je légitime pour donner des leçons ? Pour autant, puisque l’on me pose la question, je prends le temps d’y répondre. Après 10 ans de carrière dans l’écriture (romans, journalisme, ouvrages techniques etc.), je commence tout de même à avoir un point de vue sur la question.

J’ai eu l’occasion de relire les textes de très jeunes auteurs et j’ai toujours été favorablement impressionnée. Certains sont beaucoup plus aboutis que d’autres, bien entendu, mais je n’ai jamais rien lu de catastrophique. Au contraire, on y trouve toujours une chouette idée, une belle phrase, ou un personnage intéressant…  Force est de constater, néanmoins, que certains petits défauts de style reviennent souvent. En voici une petite liste avec des conseils simples pour y remédier.

Warning : Ceci n’est pas une liste de commandements à suivre au pied de la lettre. Comme n’importe qui, je suis subjective et tout ce qui suit peut être sujet à discussion ou à débat. Bref, ne vous privez pas d’apporter votre pierre ! Par ailleurs, je ne prend pas la peine de mentionner les extraordinaires vertus de la grammaire et de l’orthographe, mais je me plais à penser que nous sommes tous plus ou moins en accord sur ce point.

1/Les mots « poudrozyeux »

Beaucoup d’adolescents (et adultes aussi), particulièrement ceux qui s’essayent à la Fantasy ou au Fantastique, ont un goût développé pour les mots un peu compliqués qu’ils sèment comme des petits cailloux, pour donner une coloration gothique à leur histoire et surtout… pour essayer de donner l’illusion qu’ils écrivent bien. Arcanes, artefact, damnation, incandescent, iridescent, triptyque, mythologie, dysmorphie, paradigme, archaïque, palindrome, anthracite, sacrilège, expiation, tutélaire, opalescent, parabole, excommunié… etc.

Je n’ai rien contre. Écrire, ce n’est pas se contenter de mots de deux syllabes, heureusement ! Sauf que c’est comme le sucre dans un gâteau : point trop n’en faut. Si en plus le texte met en scène des personnages répondant au doux noms d’Ézéchiel, Alyanä ou tout autre prénom d’inspiration biblique/elfique/mythologie grecque, on frôle l’indigestion !

Exemple : La prophétie disait vraie, pensa Adryëllia. Un irréversible cataclysme viendrait bientôt enfouir les ruines immémoriales de la cité antique d’Atlantos. Le grand conseil des oracles cartomanciens était formel : seul l’Artefact perdu saurait arrêter la course de l’irréductible roue de la fatalité. Versés dans l’art du tarot divinatoire, ils ne se fourvoyaient jamais. Les alchimistes des temps jadis avaient scellé leur sort et celui de leur florissante civilisation des millénaires auparavant, au printemps de la création des sept mondes. « Il me faut consulter le grand mage Tractopël, lui seul tient entre ses mains décharnées le devenir de notre royaume », pensa la nymphe à la chevelure rougeoyante, en contemplant les derniers rayons de l’astre, qui s’éteignaient sur les flancs escarpés des monts interdits.

Je force un peu le trait mais vous voyez l’idée. Le résultat, c’est qu’à moins de relire trois fois, on ne capte rien à l’histoire (et je ne vous dis même pas quand c’est plein de fautes d’orthographe / de mots mal employés). Perso ça me donne un peu la même impression que quand je regarde cette vidéo :

Reprenons notre exemple ci-dessus. Ce qui est dit est pourtant simple :

  1. Une nymphe rousse habite dans une cité en ruine près d’une chaîne de montagnes.
  2. Celle-ci est gouvernée par une assemblée de gens qui tirent les cartes.
  3. Une catastrophe va bientôt détruire la cité en ruine, parce que des alchimistes ont lancé une malédiction il y a des milliers d’années.
  4. Le seul moyen d’empêcher ça, c’est de retrouver un vieux bidule (synonyme familier « d’artefact ») qui a été perdu.
  5. La nymphe va chercher conseil chez un vieux sage qui a l’air de s’y connaître.

Le défi c’est de s’assurer avant tout que le lecteur comprenne immédiatement ce qu’il se passe. Sinon, je vous jure qu’il lâchera l’affaire très vite. Le maître mot, en gros, c’est le dosage. Si vous tenez aux mots jolis, pas de problème, du moment qu’il s’intègrent dans des phrases simples et limpides. Et ne se cognent pas les uns aux autres comme des travailleurs dans le métro aux heures de pointe 😉

Bref, c’est une règle peu connue mais néanmoins essentielle : le plus difficile, quand on écrit, ce n’est pas de faire compliqué, c’est de faire simple ! J’ai pris l’exemple de la Fantasy, mais il va de soi que le principe reste le même pour tous les autres genres.

2/Les verbes pauvres

Je ne compte plus le nombre de textes que j’ai reçu qui foisonnaient de « il avait », « il était », « il faisait » ou « il disait ». Or, ces verbes ont pour plus grand défaut de ne pas être très précis ! Prenons par exemple le verbe « dire ». La seule information qu’il nous donne, c’est que quelqu’un prononce des mots. Supergénial ! Aucun indice sur la manière dont ces mots sont prononcés, ni dans quel but ou dans quelles circonstances… D’autres verbes sont bien plus éloquents et fournissent des éléments en plus. Voyez plutôt :

  • « J’aime les fleurs », dit Matthieu (information : Matthieu dit qu’il aime les fleurs)
  • « J’aime les fleurs », mentit Matthieu (information : Matthieu dit qu’il aime les fleurs mais ce n’est pas la vérité.)
  • « J’aime les fleurs », chuchota Matthieu (information : Matthieu dit qu’il aime les fleurs mais ne veut pas que certaines personnes l’entendent)
  • « J’aime les fleurs », contredit Matthieu (information : Matthieu dit qu’il aime les fleurs, alors que quelqu’un a prétendu le contraire)
  • « J’aime les fleurs », s’époumona Matthieu (information : Matthieu dit qu’il aime les fleurs en criant très fort)
  • « J’aime les fleurs », sanglota Matthieu (information : Matthieu est triste et cela à probablement un rapport avec son amour des fleurs)

Bien sûr,  il n’est pas interdit d’utiliser des verbes pauvres, mais le moyen le plus simple d’améliorer  votre texte, c’est de les remplacer dès que c’est possible par un équivalent.

  • Il avait une arbalète dans son sac = il transportait une arbalète
  • Il avait 18 ans = il venait de fêter son 18ème anniversaire
  • Il faisait des tartes = il confectionnait des tartes
  • Il disait qu’il était médecin, mais il n’avait pas de travail = il prétendait exercer la profession de médecin, mais en réalité, il ne travaillait pas.

En poussant un peu plus loin l’exercice, vous vous apercevrez qu’éliminer les « verbes pauvres » vous obligera à faire preuve d’imagination, et à adopter des structures de phrases un peu plus chouettes. Bref, à enrichir votre style !

  • Il était beau mais il était bête : son indéniable beauté ne parvenait pas à masquer une intelligence en dessous de la moyenne.
  • Il avait beaucoup d’argent, mais il était toujours en guenilles : Malgré sa richesse, il persistait à ne se vêtir que de guenilles.

Alors, convaincu ?

3/ L’ABSENCE DE rythme

Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Stephen King, le roi de l’horreur : le rythme est la clé d’un bon récit ! C’est un peu comme en musique. On ne fait pas forcément attention à la batterie, mais si vous l’enlevez, la chanson ne tient plus debout. Je suis parfois un peu perdue quand je lis certains jeunes auteurs, parce que le texte n’est pas organisé. On dirait un long monologue sans fin ! On ne sait plus où ça s’arrête, ni où ça se finit.

Pour y remédier, votre arme de choc ce sont… les paragraphes ! Cela permet au lecteur 1/de respirer 2/de mieux suivre le déroulé de l’intrigue. Enfant, adulte ou ado, le lecteur a besoin que vous l’aidiez un peu à vous suivre. « Mais comment on sait quand c’est qu’on doit sauter une ligne ?« , me demandez-vous. Facile Émile ! La règle est la suivante : une idée/un évènement = un paragraphe.

Ce principe présente un autre avantage : il vous contraint à réfléchir à l’articulation de votre texte et à ses idées maîtresses !

4/Les descriptions clichés

Autre danger mortel : les expressions super clichés qui ont déjà été servies à toutes les sauces par un million d’autres romanciers avant soi. Elles ont tellement été battues et rebattues qu’elles sont passées dans le langage courant, et menacent de ressurgir dans vos écrits à la moindre baisse de vigilance ! Je suis particulièrement sensible à celles qui sont utilisées pour décrire des personnages… Pourquoi ? Parce que je considère que les personnages sont l’élément le plus important d’un roman. Et même si tout le monde n’est pas de mon avis (certains favorisent l’intrigue), il n’en demeure pas moins que plus vos héros auront l’air uniques – avec leurs faiblesses, leurs défauts, leurs points forts, leurs caractéristiques -, plus ils auront l’air réels ! La « description cliché » est un obstacle à leur originalité, car elle les enferme déjà dans un imaginaire très balisé. Malheureusement, il est très facile de se laisser tenter. D’ailleurs, soyons honnête, j’en laisse passer… Mais je fais de plus en plus attention.

Ma liste noire d’expressions interdites

  • Les cheveux d’or/blonds comme les blés/noir de jais ;
  • Les yeux bleu acier/bleu azur/bleu océan/vert émeraude ;
  • Les lèvres rouge sang ;
  • Le rire cristallin ;
  • La peau couleur chocolat/caramel/café au lait/miel (Attention, si vous n’êtes pas blanc, on essaye de vous manger !!)
  • La chevelure incandescente (pitié, TOUT mais pas la chevelure incandescente) ;
  • La silhouette galbée ;
  • La silhouette pulpeuse ;
  • Les lèvres pulpeuses ;
  • Le teint de pêche ;
  • Le teint diaphane ;
  • Blanc comme un cachet d’aspirine ;
  • Un brun ténébreux (j’attends toujours le roux ténébreux, par contre…)
  • Le sourire étincelant ;
  • Le port altier ;
  • La moue boudeuse ;
  • Le corps décharné ;
  • Les jambes interminables ;
  • La taille de guêpe ;
  • Le regard perçant/de braise ;
  • Une bombe latine ;
  • Les pommettes saillantes ;
  • Le nez aquilin ;
  • Le torse puissant ;
  • Les yeux de biche ;
  • etc… Si vous en avez d’autres, je prends pour ma collection !

cliché

Il existe bien entendu des clichés pour décrire des actions, des paysages, des sentiments ou des situations… mais je ne me sens pas de faire 12 listes ! Par ailleurs, je n’aborde volontairement pas les clichés scénaristiques, puisque ce post se focalise uniquement sur le style, mais il y aurait de quoi faire !

5/Les personnages qui parlent tous pareil

Prenons un magnifique dialogue :

-Tu viens à la soirée de vendredi ? demanda Tamara.
-Pour me retrouver nez-à-nez avec Léo et sa bande ? Non merci ! rétorqua Walid
-Oui, mais si tu veux avoir une chance de sortir avec Thibault, c’est le moment ou jamais.
-Bon, je vais y réfléchir et je te dis.

Ce qui frappe dans cet extraordinaire morceau de littérature, c’est avant tout l’extrême neutralité du vocabulaire employé par ces deux jeunes, à mi-chemin entre le familier et le soutenu… Carrément chiant et artificiel, si vous voulez mon avis. Et surtout, ça ne nous dit rien sur Tamara et Walid. J’ai déjà fait un post sur le sujet ici : la manière dont parlent les personnages doit révéler des choses sur eux. On peut les imaginer vulgaires :

-Tu ramènes ton cul à la teuf ? T’sé, vendredi ?

ou précieux et distingués :

-Penses-tu ! Rien qu’à l’idée de côtoyer cette canaille de Léo et sa cour, j’en frémis !

C’est une caricature, et bien entendu, il n’est pas toujours pertinent d’en arriver à de telles extrémités. Ce qui importe c’est de vous demander QUI est votre personnage et de le faire parler en conséquence. Vieux/jeune ; riche/pauvre ; bavard/taiseux ; fanfaron/timide ; campagnard/citadin ; éduqué/peu éduqué ; homme/femme ?

Mais là où l’écriture devient vraiment magique (attention, c’est dur à faire mais ça en vaut la peine !), c’est que le langage des personnages peut être le moyen de tordre le cou aux idées reçues, en leur donnant une profondeur. Vous pouvez démontrer qu’une vieille personne est restée jeune dans sa tête en lui faisant utiliser des mots de jeunes (« j’ai trop le seum », déclara papy René en agrippant sa cane), faire dire « certes » plutôt que « ouech » à un jeune de banlieue, mettre en scène des jeunes filles de bonne famille affirment qu’elles « en ont plein le cul »… Bref, faire gaiement sauter les archétypes que l’on voit à la télévision. Vous même, vous n’êtes pas un archétype, non ? Il n’y a donc aucune raison que vos personnages le soient.

Voilà, c’en est fini. Et vous alors, quels sont vos idées sur le style ?

4 réponses à Cinq défauts de style des jeunes auteurs

  1. Bucky

    Avec toute la YA que je lis, je pense avoir déjà lu l’intégralité de ta liste noire des expressions interdites… (faut-il avoir honte??) et c’est avec joie que je t’aiderai à l’agrandir… car oui le garçon ténébreux aux yeux perçants, aux lèvres bien dessinées et au sourire ironique commence à me gaver. Je pense que l’influence d’une langue anglaise très pauvre dans les romans pour adolescents est en partie à blâmer.

    • Aurelie Gerlach – Author

      Hahaha ! Oui, c’est vrai les lèvres / les traits « bien dessiné(e)s ou le sourire ironique/énigmatique ce sont des classiques indémodables, comme la petite robe noire 😉

  2. Jeanne

    Merci pour ces judicieux conseils et la vidéo vintage.
    Personnellement, dans la famille « Poudrozyeux » je déteste les descriptions longuettes dopées aux expressions dramatiques et souvent inutiles. En tant que lecteur,je saute au passage suivant pour éviter l’indigestion.
    Exemple: « Dans la touffeur de la nuit, le ciel était strié d’éclairs zébrés qui découpaient l’obscurité tels des glaives. Oppressée par la chaleur humide et par l’orage menaçant, Dorotéa se dirigea en vacillant vers la masure de pierres blanches tapie dans les roseaux. Avant qu’elle n’atteigne ce refuge, les premières gouttes de pluie se mêlèrent à la sueur qui perlait sur son front enfiévré et accentuèrent le sentiment d’effroi qui lui étreignait le coeur »

    • Aurelie Gerlach – Author

      Très bel exemple « poudrozyeux », merci Jeanne ! Je suis d’accord, l’overdose dramatique et les métaphores « too much » (« éclairs qui découpent l’obscurité tels des glaives ») sont à manier avec précaution sauf peut-être si on s’appelle Victor Hugo 😉

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