Pusheen

« Tu n’as jamais eu envie d’écrire des romans pour les adultes ? »

Nous dînons, avec mon amie Ella, dans un restaurant Libanais près de la place de l’Opéra, à Paris. Nos rendez-vous sont toujours l’occasion de parler de nos projets et de notre vie… bref, de ce dont parlent les amies. Les plats viennent d’arriver lorsque mes activités littéraires sont évoquées.

-Tu n’as jamais eu envie d’écrire des romans pour les adultes ? demande-t-elle.

-Mais pourquoi tout le monde me pose cette question ? je lance, bourrue, en avalant tout rond une bouchée de pain libanais tartinée de Houmous.

«Quoi ? C’est pas assez bien la littérature ado, peut-être?», je me dis, avant de regretter immédiatement cet accès de tête de lard. Ella ne mérite pas ce procès d’intention, car elle est adorable et absolument dénuée de tout snobisme. En définitive, elle pose une question bien légitime. J’ai 30 ans après tout, pourquoi ne pas me diversifier en écrivant des romans que lisent les gens de mon âge ?

Cela mérite que je réfléchisse quelques instants pour apporter une vraie réponse à Ella, que je salue bien bas au passage. Et finalement, des réponses, j’en ai trouvé plusieurs.

Primo

Quelque part, j’écris déjà pour les adultes. Mes deux premiers romans ont trouvé leur place chez Scripto qui est une collection « Cross Age ». Cela signifie qu’elle s’adresse avant tout aux ados mais peut également trouver un public auprès des jeunes adultes (il y a d’autres collections dans ce cas, les premières qui me viennent en tête sont DoAdo chez Rouergue, ou eXprim’ chez Sarbacane). Cela étonnera certains, mais des adultes lisent effectivement ce type de littérature. C’était mon cas lorsque j’avais la petite vingtaine (de fait, ça l’est encore plus depuis que j’écris), et les groupes de jeunes femmes que je croise au rayon ado de la Fnac confirment que je suis loin d’être un cas isolé.

Et je souhaite insister sur un point : si des adultes lisent des romans « ado », ce n’est pas parce que leur cerveau a cessé d’évoluer avant leur majorité, c’est parce que ces romans leur parlent. Je pense que le succès cet été de « Nos étoiles contraires », de John Green (Nathan) prouve qu’un roman conçu pour les ados peut parler à beaucoup de gens, quel que soit leur âge.

Normal non ? Quelque part, ados et adultes restent des « espèces proches » qui partagent de nombreuses aspirations : être heureux, être aimé, vivre des aventures incroyables, lutter contre l’injustice, savoir faire face aux difficultés que la vie nous impose… Il n’est donc pas étonnant que certains livres séduisent l’un et l’autre.

Deuzio

Alors, écrire un roman adulte et un roman ado, ce serait la même chose ?

Eh bien, un peu, mais pas complètement !

J’aime que mes personnages soient encore au début de leur vie. L’adolescence est un âge charnière où les possibilités sont souvent bien plus ouvertes que lorsque l’on a vieilli (je parle ici bien-sûr d’adolescents sans gros problèmes). C’est génial, de n’avoir pas encore décidé de son futur… Il reste tout à inventer !

Dans le même temps, c’est également très angoissant, toute cette liberté. Les ados reçoivent beaucoup de pression de toute part : l’école, les parents, la société de consommation, les amis… etc. C’est dur de faire le tri entre toutes ces voix. Quelles sont celles que l’on va choisir d’écouter, alors que l’on a une expérience du monde encore bien courte, et que tous les conseils peuvent être soit excellents, soit très mal intentionnés (oui, société de consommation, c’est à toi que je fais référence)… soit bien intentionnés et désastreux (ce prof qui vous pousse à faire des études de sciences parce que « c’est mieux pour trouver un vrai travail en ces temps de crise » alors que l’idée même d’analyser la reproduction des bacilles vous donne des idées de sieste, par exemple)?

J’aime cet âge où l’on peut enfin décider de qui l’on va être, de la place que l’on va occuper dans le monde et de la manière dont on va le changer (le monde). L’adolescence est une période difficile, incertaine, mais aussi porteuse d’optimisme.  C’est pourquoi cela m’intéresse d’écrire dessus.

Tertio

Une autre de mes raisons, c’est que je continue de me sentir parfois comme si j’avais 14 ans. Je me lève le matin, toute étonnée d’avoir atteint l’âge adulte. Personne ne vous prévient : tout à coup, sans préavis, le monde entier voudrait que vous soyez sérieux (que vous contractiez des assurances, ayez un métier, payiez vos impôts, conduisiez une voiture, achetiez une machine à laver…) alors que vous n’avez qu’une envie : vous gaver de bonbons en jouant aux jeux vidéo.

Puisque le monde (cruel !) m’interdit dorénavant d’être un ado, autant l’être un peu par procuration, grâce aux héroïnes de mes livres. Après une journée de travail au cours de laquelle j’aurai fait mon possible pour être adulte, je ne vais pas en plus me taper d’écrire des romans sur des adultes qui n’arrivent pas à se dépêtrer de leur vie d’adulte, non ?

Attention, je ne dis pas que les auteurs qui le font ont tort, bien au contraire ! Chacun doit écrire sur ce qui l’inspire, c’est comme ça que l’on donne le meilleur de soi-même !

Quatrzio (ce mot n’existe pas !)

Cela n’engage que moi, mais je trouve que la littérature ado aujourd’hui donne bien envie d’en être, non ?

Comme pour la littérature classique, tout ne plaît pas forcément à tout le monde, mais il est difficile de nier qu’il s’y passe des choses fascinantes! Axl Cendres, Sarah Cohen Scali, Melvil Burgess, Malika Ferdjoukh, John Green, Anne Percin (j’abrège volontairement, mais je peux encore en citer des tas de noms)… Ces auteurs expérimentent des styles d’écriture, des thèmes originaux, des époques méconnues sous des angles encore jamais vus. Problèmes de société, aventures, fantastique… Les thèmes sont variés et parfois surprenants.

Non, franchement, je n’ai pas encore envie de changer de rayon.

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